Sur le documentaire « La fabrique de l’ignorance » sur Arte

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Au nom de la vérité scientifique, faut-il censurer les éléments de relativisation, parce qu’ils donnent du grain à moudre aux complotistes ?

Voici la question que j’ai envie de me poser après avoir regardé ce documentaire qui me laisse sur un sentiment mitigé (parce qu’il n’est pas si bien écrit que cela, parce que ses premières minutes développent un parti pris qui en faussent la perception et surtout parce qu’il est mal vendu).

https://www.arte.tv/fr/videos/091148-000-A/la-fabrique-de-l-ignorance/


À la fois, il est très bien fait en tant qu’il dresse une Histoire inédite de l’agnotologie (l’étude de la production culturelle de l’ignorance, du doute ou de la désinformation).

Tout en rappelant que le doute est un moteur nécessaire de la science.


Il nous montre comment des industriels investissent massivement dans la recherche scientifique, dans des « recherches de diversion », ou une « science de diversion », pour discréditer la science, aux fins de lutter contre des poursuites judiciaires et l’engagement de leur responsabilité.

Comment ils détournent l’attention de certaines causes en multipliant les facteurs de risques ou en invoquant des combinaisons qui relativisent certains effets.

Comment ils déforment le langage et renversent le sens des mots : comment l’ignorance est passé de ce qu’on ne connaissait pas à ce qu’on croit connaître parce qu’on est désinformé.

Comment ils manipulent la jauge d’incertitudes des études statistiques pour dire qu’il n’y a pas de risques.

Comment ils se servent d’organismes et de groupes sur les réseaux sociaux pour promouvoir leurs idées.

Et surtout comment cette pratique est intervenue sur de très nombreux sujets depuis 70 ans : le tabac, le changement climatique, les pesticides, la pilule contraceptive, les néonicotinoïdes, le bisphénol A, les énergies fossiles, l’industrie alimentaire, l’industrie agricole, l’industrie pharmaceutique, les pluies acides, le trou de la couche d’ozone…


Et en même temps, il n’est pas satisfaisant déjà parce qu’il feint de découvrir qu’il existe un lobbying des industriels ou une corruption des scientifiques, qui a toujours existé, mais qui il est vrai, prend une ampleur inédite et démesurée.

MAIS SURTOUT parce que ce documentaire a le défaut de ses qualités, par certaines de ses affirmations qui sont aussi péremptoires que celles qu’il dénonce.

D’un côté, les complotistes disent que puisque la science permet le doute, alors la vérité est du côté des sceptiques. 

Mais en face, le documentaire, surtout au début, instille l’idée que c’est parce que la science dite « établie » (et là encore, un terme éminemment critiquable selon la définition qui lui est donnée) est critiquée qu’elle a en fait raison.

Or, l’argument est inopérant DES DEUX CÔTÉS en tant qu’il généralise et essentialise !

À la limite même que le film va dire, sur le premier exemple qui est pris des abeilles, que le varroa ou les frelons asiatiques ne représentent pas une menace, parce que les néonicotinoïdes représentent une menace plus importante ! 

Tout comme à la fin du documentaire, quand il est question de l’appel de Heidelberg, dénonçant à juste titre l’ultracrépidarianisme (aussi appelée la maladie du Nobel), qui est la tendance de certains scientifiques reconnus à donner des opinions erronées en dehors de leur sphère de compétence, lorsque le film n’insiste que sur la manœuvre intéressée de l’industrie de l’amiante, sans vouloir retenir la bonne foi de certains scientifiques qui en appelaient juste à ne pas fonder la science sur des préjugés irrationnels.

En fait, on se retrouve avec le problème que l’on observe avec la crise sanitaire, que le milieu scientifique manque terriblement d’humilité, qu’il ne dira jamais, ou de moins en moins, qu’il ne sait pas ou qu’il n’a pas la vérité, dans un contexte de durcissement des positions de part et d’autre, et donc fatalement de plus en plus d’incompréhension.



3 commentaires

  1. Discréditer des études scientifiques compromettantes en publiant une multitudes d’études qui sèment le doute (on ne peut finalement pas conclure) est une méthode de diversion. C’est ce qui en ressort de la première partie du documentaire. Autant dire que si les injections Pfizer/Moderna s’avèrent dangereuses, on n’est pas prêt de le savoir !

    Pour information, 6 mois après, ton article figure en 5ème postion sur le moteur de recherche Bing lorsqu’on tape les mots clefs « arte la fabrique de l’ignorance » => très bon travail Olivier !

  2. les forces de l’irrationnel et, en particulier, de l’émotion, deviennent prégnantes. La rationalité n’est pas absolue et objective mais elle est empreinte de subjectivité et de relativité, elle est « limitée » : les biais cognitifs peuvent être utilisés comme méthode d’influence des comportements tirant parti de la rationalité limitée : https://www.officiel-prevention.com/dossier/formation/conseils/rationalite-limitee-et-securite-au-travail

    1. Les biais cognitifs s’appliquent essentiellement dans l’urgence de la réflexion. En dehors de l’instantané, il devrait pourtant être possible de prendre le temps de réfléchir au vrai du faux… À croire que les gens ne veulent plus prendre ce temps…

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