Le 77e congrès du Parti socialiste (PS) se tiendra à Poitiers du 5 au 7 juin 2015, sous la présidence de Jean-Christophe Cambadélis. Face à lui, le premier secrétaire retrouvera plusieurs anciens cadres de l’UNEF-ID, qui ont fait carrière au PS. Les mêmes qui militaient dans le premier syndicat étudiant lorsque « Camba » en était président de 1980 à 1984.
Un congrès du PS durant une présidence socialiste est toujours un exercice périlleux. En 2008, celui de Reims s’était achevé dans les larmes de Ségolène Royal. Sept ans plus tard, les socialistes redoutent « un nouveau congrès de Rennes » (1990) au cours duquel Laurent Fabius et Lionel Jospin s’étaient affrontés sans vainqueur. Le congrès de mi-mandat doit définir la ligne politique à tenir pour espérer se faire réélire à la prochaine échéance présidentielle. Or, lorsque toute une aile du parti fronde déjà à l’Assemblée, au point de forcer le Gouvernement à engager sa confiance pour faire voter une loi, rien ne va plus.
De son long passage à l’Union National des Etudiants de France (UNEF), Jean-Christophe Cambadélis a laissé à certains le souvenir d’un homme de consensus. Robi Morder, ancien membre du Bureau national de l’UNEF le décrit comme un homme « voulant maintenir tout le monde ensemble », quitte à utiliser des « manœuvres ». François Sabado, ancien dirigeant de la LCR, chargé au Bureau Politique des questions de jeunesse parle plutôt de « certaines méthodes ». Et elles n’ont pas manqué: « fausses cartes, menaces physiques, résultats trafiqués » avec des ajouts de vote d’étudiants africains ou la pratique du « vote polonais » (vote bloqué). Des pratiques qui ne sont pas sans rappeler celles de certaines fédérations du PS, notamment dans les Bouches-du-Rhône.
Au congrès du PS de Poitiers, « Camba » retrouvera d’autres anciens de l’UNEF aux caractères « plus clivant ». D’autant que l’UNEF est actuellement représentée au cœur du pouvoir en la personne de Bruno Le Roux et Jean-Marie Le Guen. C’est aussi le cas de Manuel Valls, Premier ministre et ancien chef de fil des jeunes rocardiens qui a rejoint L’UNEF ID (Indépendante et Démocratique) réunifiée en 1980 avec Alain Bauer et Stéphane Fouks (qui deviendront respectivement patron d’Euro-RSCG et dirigeant du Grand Orient de France). Benoît Hamon est également arrivé après les grandes batailles de 1986. Mais ces hommes, selon Robi Morder, n’ont jamais eu « qu’une carte de l’UNEF ». Pour lui, « cela fait partie de l’ordinaire d’adhérer à des organisations syndicales ou politiques, dans certains milieux ». Pour le sociologue, Valls et Hamon avaient d’abord « un engagement politique avant d’avoir un engagement syndical. Ce qui les intéressait était d’avoir les mains dans le cambouis. » Il poursuit : « Pour être recruté dans un cabinet ministériel ou pour monter dans l’organigramme du PS, il y a deux solutions : sortir d’une grande école ou venir d’un mouvement jeune, comme le MJS (Mouvement des Jeunes Socialistes), SOS Racisme, et l’UNEF. ».
En juin prochain, deux visions vont s’affronter au congrès de Poitiers: d’une part, celle du premier secrétaire qui tente actuellement de rassembler autour une motion large. De là, lui vient aussi son surnom de « président Wilson », à l’image du président américain qui essaya de réconcilier l’Europe de l’après-première Guerre mondiale. D’autre part, il faudra compter sur l’aile gauche, divisée, dont les leaders sont souvent issus de la jeune garde du PS, exfiltrés des mouvements jeunes et notamment de l’UNEF d’abord par Henri Emmanuelli puis par Benoît Hamon. Ces « rebelles » qui forment aujourd’hui l’aile gauche du PS sont bien décidés à se faire entendre. Une attitude qui n’est pas sans rappeler le congrès de Dijon (2003) à la fin duquel les dissidents étaient rentrés dans le rang à la promesse d’une meilleure représentation dans le parti.
La méthode Cambadélis
Robi Morder raconte qu’en 1980 : «Cambadélis arrive, et il prend au coin d’une table un papier de carré de sucre sur lequel il écrit la formule magique : 4 mitterrandistes, 3 rocardiens et 2 CCA (comités communistes pour l’autogestion). Avec cela, il y avait 5 autogestionnaires contre les 4 autres. Mais encore ces 5 personnes devaient-elles réussir à s’entendre. » Selon Robi Morder, l’Histoire et les mémoires retiennent une autre histoire de la réunification de l’UNEF, qui se serait déroulée sans problèmes. Pourtant, « ce n’était pas gagné et cela aurait pu échouer. Camba savait aussi élever la voix quand cela devenait nécessaire. » Mais la force de Jean-Christophe Cambadélis est surtout d’avoir réussi à fédérer au sein de l’UNEF-ID en 1980, l’UNEF-US (trotskystes-lambertistes) et sa tendance reconstruction syndicale, et le MAS (LCR) et sa tendance syndicaliste autogestionnaire. C’est lui encore qui réussit à faire évoluer les relations entre le PS et les CCA (Comités communistes autogestionnaires).
Outre les différences de positionnement par rapport à la Quatrième Internationale, l’opposition des lambertistes et de la LCR est alors très nette. François Sabado, qui fréquentait les responsables d’aujourd’hui, parle d’ailleurs d’une « profonde méfiance » de la LCR vis-à-vis de l’OCI (Organisation Communiste internationaliste) qui voudrait la détruire et l’absorber. Robi Morder résume ainsi : « Si on se disait trotskyste, tout allait bien mais si on se réclamait de la Quatrième internationale, on croyait que vous étiez anti-lambertiste. »
Pour Cambadélis, la parole donnée ne vaut pas un engagement écrit. Combien de fois n’a-t-il pas sorti de sa poche des documents signés sur le coin d’une nappe en papier, explique Robi Morder. C’est aussi cela qui lui permet d’éteindre des conflits avant qu’ils ne s’embrasent trop. Comme dans l’affaire du règlement intérieur du Bureau National que certains commençaient à vouloir remettre en cause après sa signature. Dans le même temps, Cambadélis, comme nombre d’autres futurs socialistes, ne semble pas vraiment s’intéresser au fond des textes. La priorité, c’est l’instauration d’un accord. L’ancien cadre étudiant va même plus loin dans ses propos. « Les futurs socialistes se foutaient des textes ». Ainsi, la tendance autogestionnaire avait émis des avis de modifications sur certains textes, que « Camba » a pris en compte sans aucune discussion.
C’est donc à un difficile numéro d’équilibriste que s’est livré Jean-Christophe Cambadélis pendant six ans, d’abord à la présidence de l’UNEF-US de 1978 à 1980 puis à la présidence de l’UNEF-ID de 1980 à 1984. Un spectacle qui s’est également fait au détriment des trotskystes de l’OCI qui « représentaient 80 % des militants mais n’étaient représentés qu’à 60 % », qui perdront la majorité voire ne survivront pas au départ de leur chef Jean-Christophe Cambadélis pour le PS début 1986.
L’UNEF, lieu d’affrontement des gauches
Avant 1972 et le programme commun d’union de la gauche, les socialistes (divisés en rocardiens et mitterrandiens) sont largement minoritaires et dépassés en nombre par les trotskystes et les membres du Parti Communiste. En 1971, les rocardiens sont majoritaires au Bureau national grâce à l’appui des maoïstes mais ils perdent le pouvoir à la suite de l’alliance des mitterrandistes, des trotskystes et des communistes. À partir de là, l’UNEF se divise car les communistes quittent le syndicat pour fonder l’UNEF-Renouveau. Tandis que les autres courants se réorganisent au sein de l’UNEF-US à majorité lambertiste.
Mitterrand tente alors de s’imposer en 1975 au sein de l’UNEF-US grâce au COSEF (Comité pour l’organisation d’un syndicat étudiant de France) dirigé par Édith Cresson puis par Jean-Marie Le Guen, président du MJS – Mouvement des jeunes socialistes. A l’époque, Michel Rocard envoyait ses pions tant à l’UNEF-US qu’au MAS (Mouvement d’action syndicale) où la LCR devint majoritaire. Ce fut finalement un échec pour les deux hommes en 1979, deux ans avant la nomination du candidat PS à l’élection présidentielle. Mais tous deux avaient compris, qu’avec l’abaissement du droit de vote en 1974, ils gagneraient l’élection.
Vainqueur du 10 mai, Mitterrand a ensuite besoin de soutien chez les jeunes, au détriment du Parti communiste. Le président entreprend alors des rapprochements de plus en plus prégnants avec l’UNEF par l’entremise et la négociation de Jean-Louis Bianco, de Pierre Bérégovoy, de Jacques Attali, de Lionel Jospin mais aussi de Pierre Lambert. Mais à partir de 1984, c’est Cambadélis et Stora eux-mêmes qui se rendent au palais présidentiel pour négocier, en passant par l’intermédiaire du secrétaire général de l’Élysée, Jean-Louis Bianco. De fait, le futur ralliement des cadres de l’UNEF au PS ne semble plus faire de doute. «Cela se dessinait naturellement» confie Philippe Darriulat, président de l’UNEF-ID de 1986 à 1988. Les enjeux étaient déjà connus. Robi Morder se souvient : « Tout était déjà sur le tableau. Un jour, je suis arrivé dans une salle pour une réunion syndicale et tout était déjà écrit. Il suffisait de lire. »
1986, les cadres lambertistes passent au PS
Au cours de l’année 1986, une décision va donc faire grand bruit. Plus de 400 cadres de l’UNEF jusque là trotskystes-lambertistes (OCI devenue le PCI – Parti communiste internationaliste) passent avec armes et bagages au Parti socialiste. Le mouvement est initié par Jean-Christophe Cambadélis et Marc Rozenblat qui les premiers quittent l’organisation. À l’époque, chacun donne des prétextes idéologiques basés sur des références trotskystes différentes pour se justifier : « trouver le chemin des masses », « faire de l’entrisme dans la social-démocratie », « créer une aile gauche au sein du PS qui ferait sécession le moment venu pour former un grand parti trotskyste ». Mais le mal est fait, les lambertistes perdent quasiment tous leurs militants syndicaux et ils ne parviendront plus à peser sur aucune autre décision. Pire, le système de renouvellement des jeunes lambertistes se délite et le courant perd une forte partie de son implantation dans la jeunesse française.
La gauche est alors défaite aux élections législatives de mars 1986, ce qui accélère le passage des cadres favorable à l’idée d’union des gauches au sein du PS, nécessaire pour remporter les élections. La droite revient en force et propose la réforme Devaquet pour une plus grande autonomie financière des universités françaises. C’est un échec, la loi ne passera pas. Une aubaine pour François Mitterrand qui espère beaucoup des étudiants pour discréditer le gouvernement de droite. Ce projet, présenté en novembre de la même année par le ministre de l’Enseignement supérieur Alain Devaquet, est fortement similaire à celui de Valérie Pécresse, adopté en 2010. Philippe Darriulat a succédé à Marc Rozenblat quelques mois plus tôt et est alors président de l’UNEF-ID.
Les syndicats étudiants réagissent à la réforme avec pour slogan « Pas de facs d’élite, pas de facs poubelle« . Mais la mobilisation ne se créée pas les trois premières semaines. Puis à Caen, un militant de la LCR qui dirige l’UNEF, Daniel Cabieu, lance « l’appel de Caen » qui fait démarrer le mouvement en province. La France entière se met en action. En région parisienne, il s’organise notamment avec ceux qui ont quitté le PCI quelques mois avant pour rejoindre le PS. Sous l’égide de Philippe Darriulat, accompagné d’Isabelle Thomas, David Assouline, Christophe Ramaux, se réunissent les « AG du Mouv’ » (assemblées générales du mouvement étudiant) qui se traduisent par l’occupation des facs et le blocage des cours. Ces AG élisent une direction, la « Coordination Nationale » , indépendante des syndicats étudiants, dans laquelle se retrouvent toutes les obédiences politiques.
Les lycéens se joignent au mouvement qui se radicalise jusqu’à ce qu’un jeune étudiant, Malik Oussekine, décède après une manifestation, sur fonds de violences policières. Alain Devaquet est écarté. René Monory, ministre de l’Éducation nationale récupère son portefeuille avec l’ambition de poursuivre la réforme. Le samedi 4 décembre 1986, plus d’un million de personnes défilent dans les rues parisiennes, ce qui fera prêter ce bon mot à Jacques Chirac, alors Premier ministre : « les jeunes, c’est comme le dentifrice, quand ils sont sortis du tube, on ne peut plus les y faire rentrer. » Cette mobilisation assiéra définitivement la stature des futurs personnalités issues de l’UNEF : Jean-Christophe Cambadélis, Philippe Darriulat, Manuel Valls, Christophe Borgel, Christophe Ramaux, Désormais, Jospin ne sert plus d’intermédiaire puisque tout est directement traité entre Mitterrand, Dray, Bianco et Cambadélis.
Du milieu syndical au milieu politique
Si l’engagement syndical découle bien souvent d’un engagement politique, les deux sont interdépendants et possèdent la capacité altruiste de l’engagement pour les autres. « Derrière toutes relations syndicales, il y a des relations politiques avec l’intervention des différents partis qui essaient de détourner les mouvements de jeunes en leur faveur » assure François Sabado. À ce jeu, c’est François Mitterrand qui se révèle le plus fort, notamment lorsqu’il affirme en 1986 « Les étudiants savent bien de quel côté vont mes sympathies. »
Tout cela n’est que l’aboutissement du travail initié en 1968 et dans les comités d’action lycéens (par exemple celui présidé en 1973 par Michel Field contre la loi Debré). Mais il avait fallu attendre 1976-1977 et la fin des effets différés de mai 1968 pour effectuer un travail de masse dans l’université. Pour ceux de tendance autogestionnaire, l’engagement au MAS était la voie royale. Mais les relations de la LCR étaient aussi tendues avec les rocardiens notamment à cause du COSEF. L’intention de Mitterrand était claire : rassembler des jeunes de gauche et les convertir au PS. En cela, SOS Racisme, l’UNEF et le MJS permettaient de priver le Parti communiste du renouvellement de ses futurs cadres en se les appropriant.
En 1980, le milieu syndical étudiant désirait réaliser l’union de la gauche pour permettre le changement de majorité présidentielle et l’unité au pouvoir. Pour François Sabado, « réellement, la société semblait tendre dans le sens des engagements trotskystes.» La perspective unitaire alors très forte l’emporte donc, non sans arrières pensées de part et d’autre. François Sabado explique : « L’OCI a toujours regardé la Ligue d’un mauvais œil. Lors de la réunification, ils voulaient détruire la Ligue. Les deux n’avaient pas réussi à se mettre d’accord sur un texte commun ni à s’entendre sur un candidat commun pour les présidentielles de 1981. »
Les révolutionnaires sont unis par le contenu de leur programme : contre la droite, contre les institutions de la Ve République et contre le capitalisme. À la Ligue, la stratégie est claire : celle d’une indépendance nette pour « féconder le front unique d’un contenu anticapitaliste et révolutionnaire ». L’organisation de jeunesse prône toujours le retour à l’usine. À l’OCI, assumer les comportements des années 1980 est plus difficile. Robi Morder précise « Dans l’éducation lambertiste, on se méfie des masses. Là encore, c’était une contradiction. On a beau être idéaliste, on n’est pas cons. » Car d’un côté, l’OCI affirme ne pas pouvoir traiter avec les gouvernants. Tandis que de l’autre, Cambadélis et Rozenblat négocient avec Alain Savary, ministre de l’Éducation nationale.
Mais la Ligue résiste par son pragmatisme et surtout grâce à l’activisme de ses militants. Dans les luttes et dans les grèves des années 1980, ils sont toujours présents. François Sabado se rappelle avec nostalgie le temps où ils arrivaient à faire descendre « plusieurs centaines de milliers de personnes dans les rues ». En 1986, les têtes de la contestation sont issues de la LCR: Isabelle Thomas à Paris XIII, Daniel Cabieu qui lance le mouvement à la suite de son « Appel de Caen », Christophe Ramaux, Julien Dray qui même s’il l’a quitté en 1982 y reste toujours très attaché, notamment à la minorité de la ligue dirigée par Gérard Filoche.
Julien Dray, ancien de la Ligue, puis président du MAS arrivait avec plusieurs milliers de cartes. Mais le désavantage du MAS est qu’il n’est soutenu par aucun syndicat « adulte ». Alors que l’UNEF-US bénéficie de l’aide de FO et du soutien officieux de François Mitterrand. Si en surface l’unité de l’UNEF ID semble acquise, les relations internes sont dures. La pression qu’exerce le pouvoir socialiste sur le syndicat est d’autant plus forte. Mitterrand tient à ce que le PS, « là où se passent les choses sérieuses » soit représenté dans la jeunesse, selon le sentiment de l’époque. Il encourage même ce qui représente une aile gauche au sein du PS. Il les incite même à être plus radicaux que le parti pour pouvoir rallier à eux une large partie de l’extrême-gauche française. L’attrait des responsabilités intéresse également les jeunes ambitieux comme Cambadélis. Mais l’euphorie est de courte durée. Philippe Darriulat souligne : « Deux ans après le ralliement, il ne restait plus qu’une trentaine de personnes sur les quatre cents qui étaient partis de l’OCI. Restaient ceux qui voulaient faire carrière dans l’appareil du PS ».
Après 1986, l’échec de l’entrisme dans la social-démocratie.
Pour Robi Morder, « toutes les tentatives d’entrisme dans un parti social-démocrate se sont soldés par la dispersion ou la fusion de ceux qui entraient ». Plus grave pour le syndicat étudiant, la proximité entre les deux structures qui a profondément bouleversé le fonctionnement de l’UNEF. Le sociologue précise « Ce n’est pas le PS qui est devenue une succursale de l’UNEF mais c’est plutôt l’inverse. L’UNEF a adopté le système de fonctionnement du PS avec le jeu des tendances. »
Dans les années 1970, les différents mouvements d’extrême-gauche appelle leurs militants à faire de « l’entrisme dans la social-démocratie » pour aller au devant des masses. Plusieurs agents avaient alors été envoyés en « sous-marins » pour infiltrer le Parti socialiste, comme Lionel Jospin. Toutefois, pour Robi Morder, l’histoire de l’ancien Premier ministre est plus compliquée car Jospin n’a jamais milité à la base. Les jeunes de la LCR rejoignent alors le MAS dirigé par Julien Dray à partir de 1979, tandis que les lambertistes se rassemblaient à l’UNEF-US derrière la figure charismatique de Jean-Christophe Cambadélis, choisi par Pierre Lambert en personne, dissident de la IVème Internationale, pour lui succéder un jour.
Ainsi, une grande partie de ceux qui militent dans un des deux grands partis trotskystes ou une de leurs associations de jeunesse parallèles rejoignaient ensuite le syndicalisme étudiant. Philippe Darriulat parle alors de « suite logique et naturelle ». « Les jeunes de l’OCI allait à l’UNEF-US, c’était ainsi. » Mais au-delà de l’aspect d’engagement, rejoindre l’UNEF permet aussi de se mettre en valeur et d’obtenir une reconnaissance. Franchir le pas peut aussi révéler des querelles d’ego notamment entre les anciens dirigeants du MAS et ceux de l’UNEF-US qui nourrissaient des arrières pensées concernant leur traitement et leur représentation au Bureau national.
Philippe Darriulat parle de son passage au PS à la fin 1986 comme d’une satisfaction de faire de la politique sans être marginalisé. Certes, il est bien conscient que l’UNEF qu’il dirige fait le jeu de tous les anti-communistes trop contents de voir le PC s’affaiblir. Car la jeunesse communiste des années 1980, très faible numériquement, se retrouve mal à l’aise avec le militantisme, une force de l’UNEF-ID. Pour Robi Morder, ce recul de l’action des jeunes communistes est aussi à regarder en lien avec ce qui se passe dans les pays de l’Est. Mais Darriulat indique aussi avoir le « sentiment d’être de gauche et d’avoir une prise directe et concrète sur la politique. Nous avions la volonté d’être la gauche du PS» « L’UNEF empêchait aussi l’épanouissement de la carrière. Elle apparaissait à certains moments comme une secte », affirme Philippe Darriulat.
C’est donc la fin d’une histoire collective, d’autant que les militants n’ont pas toujours réussi à se fondre dans les jeux d’appareils. Les jeunes prennent d’autres dispositions d’esprit, souhaitaient une autre réforme de la société. François Sabado poursuit : « très vite, les anciens de l’UNEF sont devenus des objets de Mitterrand qui avait besoin dans son parti de jeunes qui défendent des positions plus à gauche. »
C’est à partir des années 1990 que l’UNEF devient un point de passage vers le PS, une véritable école de cadres du parti. C’est d’abord Henri Emmanuelli qui, rêvant de réaliser de nouveau l’exploit de François Mitterrand en 1981, essaie de rallier les jeunes syndicalistes. Il dirige alors un courant jeune qui exfiltre doucement les personnalités charismatiques engagées dans le syndicat. Libre ensuite à ceux pris plus ou moins volontairement dans la toile de se tisser une carrière dans l’organigramme du parti.
Il est soutenu par les jeunes « poperenistes » réunis autour de Jean Poperen et les jeunes « chevènementistes » réunis autour de Jean-Pierre Chevènement, qui ne soutiennent plus la politique du Gouvernement depuis l’intervention en Irak pendant la première guerre du Golfe. Malgré ses nouvelles recrues qui sont aujourd’hui pour la plupart frondeurs du PS (Borgel, Galut, Hamon, Cherki…), Emmanuelli est battu par Jospin à l’investiture PS pour l’élection présidentielle de 1995. Pour peser alors au sein du parti par le biais de sa tendance et de ses motions, l’homme doit malgré tout continuer à recruter et il est rejoint en 2005 par un homme qu’il a lui-même appelé en 1993 : Benoît Hamon. Ensemble, ces hommes constituent l’aile gauche actuelle du PS.
La vie après l’UNEF
Trente ans plus tard, les anciens cadres de l’UNEF ont plutôt bien réussi, à commencer par la génération du bureau National de 1980. Pour ceux qui ont choisi de poursuivre leur engagement en politique, la plupart ont trouvé des places confortables dans l’appareil socialiste. Paradoxalement, Robi Morder analyse que « ce ne sont pas les couches les plus favorisées qui sont restées au PS. » Ils ont donc monté les échelons du parti à l’instar de Jean-Christophe Cambadélis qui a remplacé au pied levé l’ancien président de SOS Racisme et ancien membre de l’UNEF, Harlem Désir devenu ministre. Julien Dray dit « Juju » est quant à lui Conseiller régional d’Île-de-France et ancien député de 1988 à 2012. David Assouline est devenu sénateur de Paris. Isabelle Thomas, arrivée à l’UNEF en 1983 et figure de la contestation anti-Devaquet est députée européenne et conseillère régionale de Bretagne. Laurence Rossignol est secrétaire d’État à la Famille. Philippe Darriulat est adjoint au maire dans le XVIIIe arrondissement de Paris.
Mais si beaucoup de transfuges de l’UNEF au PS ne sont pas restés (une trentaine sur les 400 qui avaient pris la tangente en 1986 : certains se sont lancés dans les affaires comme Marc Rozenblat et Bernard Rayard encore Stéphane Fouks, patron l’agence de publicité EuroRSCG. D’autres ont choisi la voie du journalisme à l’image de Denis Sieffert, rédacteur en chef de Politis ou de Sylvia Zappi, journaliste au Monde. D’autres encore ont pris le chemin de l’université comme Benjamin Stora, professeur d’Histoire à Paris I, Christophe Ramaux devenu professeur d’économie à Paris I et membre des économistes atterrés ou encore et enfin Jean-Loup Salzmann devenu président de l’université Paris XIII où la contestation de 1986 avait commencée, et président de la Conférence des présidents d’université.
Le syndicalisme est aussi un engagement que certains n’ont pas arrêté à l’image de Robi Morder, juriste et sociologue devenu syndicaliste enseignant ou encore Laurent Zappi. Pourtant, beaucoup des acteurs de cette époque n’ont plus envie de parler de cela. Comme s’ils étaient désabusés de l’évolution des événements. Pour beaucoup, la période reste éminemment positive. Pour François Sabado, c’était une période où la France possédait une jeunesse « inventive, imaginative, super-radicale, gonflée au possible ». Pour autant, l’homme garde un regard lucide sur cette époque : « On s’est raconté des histoires. Comme des illusions d’optiques sur les rapports de force dans l’université et dans le pays. » Pour Benjamin Stora, le combat doit se poursuivre de manière intellectuelle et ses travaux historiques vont dans ce sens.
Pour François Sabado, c’est aussi l’union de la gauche qui a fait « perdre la main au profit des grands appareils. Il y a eu des compromis et aussi des compromissions. Les jeunes ont été gagnés par le PS. C’est notamment ce qui est arrivé à Jospin qui a été transformé.» Oubliée donc l’idée de l’entrisme originel pour former un courant de gauche au sein du PS, qui aurait représenté 1/3 du parti. « C’est aussi la force d’intégration de l’appareil social-démocrate qui s’est révélée plus forte sur le plan idéologique, organisationnel et matériel. » L’ancien dirigeant de la LCR porte un regard lucide sur les changements intervenus depuis, au sein de la société française : « C’est la fin du mouvement ouvrier et il y a quelque chose d’autre à construire. Nous sommes dans le ‘déjà plus’ et le ‘pas encore’ du XIXe siècle et dans la contestation du XXIe siècle. Nous sommes dans l’entre-deux, que Gramsci appelle les monstres. Si notre idéal est intact, nous avons moins de certitudes. » Pour Sylvia Zappi, c’est plutôt la « réalité sociale n’a plus rien à voir ». Benjamin Stora avoue même « Je ne saurais même pas dire qui est l’actuel président de l’UNEF ».
Le Bureau national de 1980 témoigne de la fierté d’avoir participé à la conquête du pouvoir et à la réunification du syndicat. L’UNEF fut une grande famille : de l’époque de combat, beaucoup ont gardé ce goût et cette appétence pour la « négociation systématique », qui pour certains était naturel et précédait leur engagement. Mais « la pratique a saboté le reste » affirme Robi Morder. « On a appris beaucoup : la gauche révolutionnaire était proposition de forces et de diversités. Enfin, la jeunesse avait une représentation politique » poursuit Sabado. « C’était une période très positive. J’ai développé beaucoup d’affections. Je ne regrette rien. »
Rédigé le 06 mars 2015

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