De plus en plus, nous entendons les citoyens, sondages de 1000 ou 2000 personnes à l’appui, se dire écœurés par la politique, et les personnes politiques. De mon point de vue, certes, les pratiques de trop de personnes engagées en politique sont révoltantes. Mais le plus révoltant reste malgré tout l’attitude quotidienne des citoyens, qui finalement reprochent hypocritement aux politiques, d’être comme eux, et de frauder tout autant.
Un citoyen qui fraude, c’est un contribuable qui se rembourse de sommes indument perçues. Un politique qui fraude, c’est un salaud qui abuse de son pouvoir pour détourner l’argent public auquel il a accès. Dans les deux cas, nous sommes en présence de deux connards qui abîment un système dont ils vont ensuite se plaindre des manquements. Aurions-nous tous nos problèmes s’il n’y avait pas de fraudes sociales, salariales, patronales, fiscales, environnementales ?
Non, les magouilles d’un politique ne sont pas plus immorales que les magouilles d’un citoyen. Les deux sont condamnables, sauf que les citoyens préfèrent croire qu’il est plus grave de frauder lorsqu’on est politique. Et puis, ce serait quand même reconnaître qu’on vote mal, et finalement qu’on vote pour des gens qui nous ressemblent dans nos défauts. Et à partir du moment où le politique est trop représentatif, alors on ne peut pas le détester sans se haïr aussi.
Il faut aussi noter une évolution des modèles de référence. Quand l’argent de l’impôt était un motif de révolte dans les siècles antérieurs, les échanges sont devenus tellement importants, que les citoyens le considère comme abstrait et qu’il est relégué au second rôle. Ainsi, des habitants vont plus se plaindre (en nombre et en force) que le couvre-feu d’un aéroport ait été enfreint d’une minute, que d’un gaspillage de 30 000 euros, qui s’inscrit lui-même dans une série.
À tous ceux qui m’expriment leur dégoût de la politique, et qui voudraient que je leur réponde : « tu as bien raison, ils sont tous corrompus, sauf moi », je préfère leur demander : « Mais toi, qu’est-ce que tu fais pour qu’il y ait moins de corruption dans ce monde ? » Et généralement, ça ne passe pas parce que le citoyen estime que l’élection lui permet de se décharger de s’intéresser au monde environnant, et puis il n’a trop souvent pas que ça à faire car il doit d’abord s’occuper de lui !
Le XXIe siècle marque une évolution dans notre conception de la politique : alors que jusque-là, l’État devait s’occuper de NOUS, on voudrait aujourd’hui surtout qu’il s’occupe de MOI. Moyennant quoi, on ne bouge pas quand on ne se sent pas impliqué dans la remise en cause du NOUS (il y aura sinon bien d’autres cons pour cela). Et puis quand on s’attaque au MOI, on attend quand même des autres, et puis on se résigne plus vite, en se disant que si même les autres n’ont pas réussi…
Le vrai écœurement réside donc dans la lâcheté collective des citoyens, qui ne possèdent plus le courage de leurs aïeux. Combien seraient prêts à risquer leurs vies pour un idéal politique comme les résistants de 1940, ou les révolutionnaires de 1789 ? Une minorité qui sait en plus que l’Histoire, ou plutôt la mémoire, ne l’oubliera assez vite, surtout si elle ne se trouve pas du côté des vainqueurs immédiats. Les citoyens ne croient plus dans la politique car ils ne croient plus en eux.
Le vrai drame de notre XXIe siècle est bien cet égoïsme, de plus en plus prégnant, qui nous pousse à croire que nous pouvons mieux nous en sortir tout seul, alors que c’est faux. Bien sûr, la survie en ermite est possible mais l’autarcie n’est pas une vie. Notre monde est sociable ; c’est juste à nous d’accepter la différence des autres comme composante de notre sociabilité.Et alors que nous faisons croire que nous sommes tolérants, nous sommes de plus en plus sectaires.
Or, malgré toutes les technologies, nous sommes de plus en plus enfermés dans des bulles. Je passe rapidement sur la théorie du complot que j’affectionne que nous sommes plus faibles en étant isolés, et que la multiplication des bulles est voulue pour offrir tant de nouveaux marchés potentiels. Ce pourquoi on veut casser tout ce qui empêche de faire ville (polis), à savoir la religion, la famille, l’État, le social, l’École… et donc de rejoindre une des nouvelles bulles !
L’écœurant dans la politique, ce sont pour moi d’abord les citoyens qui refusent de prendre leurs responsabilités, et qui préfèrent juste se plaindre pour avoir un prétexte à dire qu’ils s’intéressent. Or, ces mêmes par leur refus sont responsables des nouveaux malheurs qui arrivent, et empêchent généralement par orgueil ceux qui viennent après eux, de réparer leurs erreurs. Conclusion de cette spirale infernale : la lâcheté appelle la lâcheté.

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